La prairie, un patrimoine qui peut se valoriser ?
La gestion patrimoniale d’une prairie, un difficile équilibre entre environnement et économie Préserver les capacités de production d’une prairie pour pouvoir la transmettre à la génération suivante est une démarche patrimoniale qui se valorise difficilement sur le marché. A la vente, la valeur d’une prairie dépend encore de la pression foncière plus que de sa capacité de production.
« Le terme patrimonial est très riche. Il signifie que nous héritons d’un patrimoine et que nous le transmettons à nos successeurs, avec une idée de le faire fructifier pour soi », analyse Sylvain Plantureux, professeur à l’École nationale supérieure d'agronomie & des industries alimentaires (ENSAIA). « Des pratiques trop intensives qui épuisent les sols et les capacités de production des prairies vont à l’encontre de cette gestion patrimoniale, bien comprise par les générations précédentes, continue-t-il. Il s’agit de trouver un juste milieu entre la surutilisation et l’abandon de la prairie ». Pour lui, pas d’opposition entre prairies temporaires et permanentes, prairies semées et prairies naturellement riches en espèces floristiques. « Le progrès génétique est intéressant pour imaginer des solutions diversifiées » aux questions que se posent les éleveurs. En effet, « des pratiques moins intensives signifient inévitablement une perte de rendement, aussi est-il important de compenser ce manque sur le plan économique », souligne Sylvain Plantureux. Il met en avant, par exemple, la révision de son système de production avec une baisse des charges mais pas forcément de son revenu, la nécessité de communiquer sur sa « prairie riche en biodiversité » associée à une valorisation de sa production en circuits courts.
La biodiversité, un élément nouveau dans les transactions foncières
De plus, avec le changement climatique et les sécheresses à répétition, les prairies à forte biodiversité s’en sortent mieux, selon lui. Les cycles des espèces sont plus étalés et toutes ne subissent pas le manque d’eau de la même manière. « Les choses changent même si certains agriculteurs s’arqueboutent sur leur système actuel », relève-t-il. Aussi, même si cette richesse patrimoniale sous forme de biodiversité est peu reconnue sur le plan économique, la question de l’accès à l’eau pourrait bien remettre en cause la valeur financière des prairies en zone humide, souvent très riche sur le plan environnemental. Un avis partagé par Frédéric Cautain, directeur départemental de la SAFER du Jura : « Un élément nouveau est apparu dans les transactions : la prise en compte de la biodiversité ». L’accès à l’eau offre tout de suite un bonus de 20 à 30% sur le prix de la parcelle. « Parmi les candidatures d’éleveurs concernant l’accès au foncier, près de la moitié justifie une sécurisation de l’approvisionnement fourrager, surtout avec les sécheresses de ces dernières années », remarque-t-il. Dans ce sens, la moindre parcelle de prairie est achetée en l’état. Il observe de plus en plus d’éleveurs du Sud de la France venir acheter des prairies et des estives dans les zones allaitantes afin, là encore, de sécuriser l’affouragement de leurs animaux. Malgré la distance et le transport, le prix du foncier est suffisamment bas pour rentabiliser l’achat.
L’état d’exploitation de la prairie a peu d’impact sur le prix
Comme dans l’immobilier, la pression foncière va faire le prix d’une prairie plus que son état de production. « Dans certaines zones, l’état de la prairie n’a aucune influence », souligne Frédéric Cautain, en citant pour exemple les zones de lait à Comté où les droits à produire, attachés à la parcelle, font le prix, sans parler des aides de la PAC. De même, la proximité avec le corps de ferme a un impact sur le prix en lien avec le nouveau cahier des charges de production. Ce dernier impose un certain pourcentage de prairies proches de la ferme. « Dans des secteurs où la prairie s’échange à 1 500 € voire 2 000 €/ha, l’état de la prairie ne joue pas. A 4 000 €-5 000 €/ha, il est possible de discuter un peu », relève-t-il. Le coût de remise en état de la prairie est encore trop faible pour avoir un vrai impact (400 à 500 €/ha) sur la valeur d’achat. Il note cependant que les « contraintes environnementales », comme retarder une date de fauche, vont déprécier la valeur d’une prairie. « Dans les zones de protection des captages d’eau, les prairies ne valent plus rien. Plus il y a de contraintes environnementales, moins cela intéresse l’éleveur et plus la valeur baisse », relève-t-il. Finalement, sur le plan agronomique, avoir une gestion patrimoniale de sa prairie est peu valorisable sur le plan financier et la pression foncière prévaut, encore aujourd’hui, sur la richesse en humus d’un sol ou la diversité floristique.